5 tendances de l’attractivité territoriale décryptées par Vincent Gollain & Aurore Thibaud

Le domaine du marketing des territoires évolue très vite. Quelles sont les tendances à prendre en compte dans votre stratégie d’attractivité ? Voici 5 tendances identifiées par une étude du cabinet City Nation Place, en 2022 (« Planning for the Future Annual Place Brand & Marketing Survey »).
Nous avons demandé à Vincent Gollain le spécialiste des enjeux d’attractivité, rédacteur en chef du site marketing-territorial.org et à Aurore Thibaud, cofondatrice de Laou leurs recommandations concrètes d’applications. 

1. Faire face à l’urgence climatique

“87% de nos répondants sont convaincus qu’une approche durable du tourisme ou de leur développement économique les rendra plus compétitifs.”
(source : étude menée par City Nation Place)

Accompagner les talents sur le surcoût énergétique dans les territoires ruraux.

Aurore Thibaud : Notre monde va être plus complexe et incertain… Je vois beaucoup de nouveaux arrivants s’inscrire sans connaître les territoires dans nos bases, motivés par un retour à la terre qui les sécurise d’un côté, sans pour autant anticiper la surconsommation énergétique pouvant aller avec ce changement de vie. 

Vincent Gollain : Oui, par exemple dans les territoires ruraux, il est parfois difficile pour un couple de trouver deux emplois au même endroit. Il y en a souvent un qui commute ou doit élargir sa zone de recherche. Ce n’est pas sans conséquences. Par exemple, on constate un surcoût énergétique (logement, mobilité) qui peut fragiliser financièrement certains ménages.

La reco de Vincent Gollain pour freiner le surcoût énergétique : A l’avenir, les territoires doivent vraiment prendre en compte cette double question : comment décarboner la mobilité ? Comment aider les habitants et les nouveaux arrivants à anticiper les coûts de fonctionnement de leur logement ? 

  • Se mobiliser pour préserver la fertilité des sols

Vincent Gollain : L’artificialisation des sols a été plus rapide que l’accroissement de la population française et il est vital de la stopper : elle crée un effet d’appauvrissement des capacités agricoles, réduit la biodiversité et surtout favorise le réchauffement climatique. Avec ma casquette d’urbaniste, j’aurais tendance à vouloir protéger les sols du processus d’artificialisation sans tomber dans le jusqu’au boutisme bien sûr.
En matière de développement rural, un autre enjeu tient dans la capacité à utiliser le levier de l’attractivité pour aider le monde agricole. Je vois 3 pistes à explorer :

  1. encourager la diversification de l’agriculture et sa capacité à produire sur place pour améliorer leurs revenus et diversifier l’offre de produits locaux.
  2. encourager les ENR dans les fermes pour réduire les coûts de fonctionnement et d’exploitation et offrir une source complémentaire de revenus.
  3. développer l’offre d’hébergement de qualité à la ferme comme en Espagne avec les zones viticoles, devenues de véritables destinations touristiques. Bien sûr il faudra aider à la mise en marché de ces offres par le marketing territorial.

On voit bien avec cet exemple le lien entre une stratégie endogène et exogène. Ces actions créent aussi de l’identité locale qui renforcent la marque de territoire.

Aurore Thibaud : Je constate au quotidien les difficultés des élus de territoires ruraux : quand on est dans un territoire où il manque une famille avec 3 enfants qui vont sauver l’école, qu’est-ce qui est le plus important : la zéro artificialisation des sols, ou l’école ? C’est une problématique quotidienne des maires ruraux de faire en sorte qu’attractivité ne soit pas synonyme de davantage d’artificialisation.

Il est urgent d’entamer une discussion avec tous les propriétaires de bâtiments anciens car beaucoup de nombreux arrivants sont prêts à faire de la rénovation, mais ne trouvent pas de bâti donc font construire. Pour libérer du foncier et redonner du sens à la vie en centre bourg, il serait intéressant de réfléchir à des solutions comme la mise en place de taxations des logements vides en ruralité.

  • Faut-il à tout prix faire venir des nouveaux talents (habitants et entreprises) dans ce contexte ? 

Vincent Gollain : “Le problème est que nous sommes dans un schéma mental qui place la croissance au cœur de la réussite. Pour moi, il ne faut pas toujours rechercher à tout prix la croissance quantitative. Certains territoires allemands ont même montré qu’un downsizing territorial peut être une source de mieux-être des populations et finances publiques. Il faut donc se donner des objectifs ciblés pour aller chercher des personnes qui apporteront une vraie valeur au territoire.

Aurore Thibaud : “La baisse ou la stagnation de population concerne encore la majorité des territoires français. Et la baisse de population est forcément synonyme de services publics moins performants, de trains qui roulent moins vite, d’accès aux soins moins importants ou d’infrastructures vieillissantes…
Pour avoir des citoyens plus heureux et une dynamique culturelle et économique en ruralité ou dans les petites et moyennes villes, il y faut donc des nouveaux habitants ! Bien-sûr, à l’inverse, les métropoles n’ont plus besoin de croissance, au contraire…

D’ailleurs, l’hypermétropolisation est un phénomène très récent à l’échelle historique et comme le dit Henri Landes auteur de “Repeupler les campagnes, comment organiser l’exode urbain pour répondre à l’urgence écologique” : “La densification urbaine parallèle à la désertification des campagnes provoque un déséquilibre néfaste pour l’environnement.” 

Comment veut-on notamment qu’une population qui n’est plus en lien avec le vivant en prenne soin ? 

Et vous, prenez-vous le temps de réfléchir à ces questions ? Quelle part de votre stratégie pensez-vous consacrer au développement d’une approche plus durable du tourisme et/ou du développement économique ? 

 

(source : étude menée par City Nation Place)

 

2. Enquêter pour mesurer la qualité de vie et la réputation du territoire : une nécessité. 

Vincent Gollain : “Les stratégies d’attractivité ont, par définition, l’objectif d’attirer des ressources de l’extérieur, y compris de futurs habitants, mais aussi veiller à leur ancrage ! Or, se concentrer sur l’exogène peut parfois nourrir le sentiment de délaissement pour celles et ceux qui sont déjà sur le territoire.
Un équilibre entre l’endogène et l’exogène est nécessaire pour viser ce que j’appelle l’attractivité raisonnée.
Elle consiste à s’intéresser au sentiment de bien vivre. Un ressenti qui est rarement pris en compte par les enquêtes publiques ou les indicateurs statistiques !”

 

“A la question “Pensez-vous sonder la qualité de vie de votre territoire ?”
55% des répondants ont dit non à car ils ont admis ne pas encore savoir comment mesurer efficacement cette donnée ou étudient encore les différentes options.”
(source : étude menée par City Nation Place)

 

ATTIRER DES TALENTS DANS VOTRE TERRITOIRE, COMMENT FAIRE ?
Les équipes de Laou vous accompagnent pour séduire des talents (salariés qualifiés, soignants, artisans commerçants, télétravailleurs…), leur faire découvrir votre territoire, et réussir leur installation.


Aurore Thibaud : “De nombreux territoires ruraux et petites villes avec lesquels nous travaillons me confient que leurs habitants ne trouvent pas leur territoire attractif. En Meuse par exemple, l’agence d’attractivité travaille beaucoup pour redonner confiance aux habitants et en faire des ambassadeurs. J’ai le sentiment que dans des enquêtes d’opinions, ils auront tendance à critiquer leur expérience du territoire, alors que de façon individuelle, ils ont un fort sentiment de qualité de vie.” 

La reco de Vincent Gollain pour mesurer les niveaux de satisfaction des habitants : développer une approche utilisateur. 

“Depuis quelques années, nous avons mis au point une approche d’expérience utilisateur. Concrètement, c’est une sorte de « vis ma vie” : nous suivons les groupes d’utilisateurs ciblés dans leurs parcours quotidiens pour recueillir ce qui leur plaît et ce qu’ils aimeraient changer. Puis nous essayons d’identifier les voies d’amélioration au regard de leurs attentes. Et il est tout à fait possible de mixer des publics extérieurs et des publics endogènes pour mieux gérer des conflits d’usages. Pour des territoires qui connaissent des difficultés, l’enjeu principal n’est pas de créer une plaquette marketing mais d’abord d’écouter.”

 

3. Miser sur ses communautés locales comme partenaires des démarches d’attractivité.

 

Les territoires répondant ont parlé de “construire un sentiment d’appartenance”, “fierté communautaire”, “engager les citoyens – créer une plateforme d’ambassadeurs”, “fédérer la population autour des enjeux touristiques”, et “faciliter la rencontre entre les opportunités locales et les besoins des entreprises”.
(source : étude menée par City Nation Place)

 

Vincent Gollain : “Plutôt que de cibler “l’habitant” (un terme qui n’a pas beaucoup de sens) mieux vaut comprendre les communautés de son territoire : étudiants, entrepreneurs, commerçants, familles etc. Cela n’a, à priori, rien à voir avec la question de l’attractivité, sauf que si les élus répondent à leurs attentes, ceci produira une amélioration de la satisfaction locale, et le territoire sera naturellement plus attractif. Un peu comme du référencement naturel !”

La communauté des nouveaux arrivants se met naturellement au service du territoire après son arrivée. Le territoire a beaucoup à gagner à s’appuyer sur eux et à bien les accueillir. Car ce sont des ambassadeurs naturels (et donc gratuits…)
Aurore Thibaud, cofondatrice de Laou

Aurore Thibaud : L’idée de comprendre les communautés apporte une vraie valeur. Et notamment celle des nouveaux habitants.
Notre marketing territorial exogène a un véritable impact sur l’endogène : il apporte naturellement de nouvelles forces vives. La communauté des nouveaux arrivants se met naturellement au service du territoire. Le territoire a beaucoup à gagner à s’appuyer sur eux et à bien les accueillir. Car ce sont des ambassadeurs naturels (et donc gratuits…)

Par ailleurs, dans tous les territoires clients de Laou il y a une fierté locale à restaurer ! Je suis convaincue que les opérations grâce auxquelles nous installons de nouveaux habitants dans des petites villes comme Laon ou des territoires comme La Creuse, La Meuse ou la Haute-Marne aident les locaux à croire à nouveau dans le potentiel de leur territoire.”

La reco de Vincent Gollain et Aurore Thibaud pour impliquer plus fortement les habitants et les partenaires des démarches de marketing territorial : miser sur l’écoute.

Les comprendre, leur apporter des services et s’en “servir” comme des vecteurs naturels d’attractivité : s’appuyer sur des communautés existantes de son territoire et sur celle des nouveaux habitants peut apporter beaucoup aux élus. 

Lieu de vie des répondants à l’enquête de City Nation Place : « Planning for the Future Annual Place Brand & Marketing Survey ».

4. Faire appel à des cabinets de consultants et experts pour répondre aux nouveaux challenges des territoires. 

Vincent Gollain : Faire appel à un cabinet extérieur est un apport en expertise qui permet aux collectivités de gagner du temps, à condition d’aller chercher les compétences spécifiques à sa problématique. Ce n’est pas toujours pro business ce que je dis et certains me le font remarquer mais du point de vue du territoire, se faire aider en segmentant les marchés et les lots est plus efficace, que ce soit très en amont dès la partie formation, ou très en aval dans l’excellence opérationnelle. Je vais illustrer mon propos avec l’un des outils de Laou, votre logiciel de suivi de l’accompagnement des personnes en mobilité. Cet outil est particulièrement novateur. Si une collectivité souhaite le refaire en interne, elle perdrait sûrement beaucoup d’énergie pour un résultat moins efficace ! Les territoires peuvent faire comme les entreprises : du sourcing ciblé de compétences chez les acteurs privés pour les intégrer dans leur démarche de marketing et les renforcer.

“De nombreux répondant mentionnent un manque de ressources et de compétences :
“trop de travail et pas assez de personnel” “manque de compétences stratégiques”, “équipe et budgets limités”.”

(source : étude menée par City Nation Place)

 

Aurore Thibaud : Il y a deux éléments qui s’opposent sur cette question des cabinets extérieurs : à la fois je vois chez certains clients une fatigue de faire appel à des consultants qui produiront un rapport que personne ne lira ou que la prochaine mandature va voir s’annuler et en parallèle, un réel besoin d’expertise sur des métiers techniques (et le marketing territorial en fait partie !).
Chaque situation est différente et mérite de savoir si un cabinet sera plus pertinent qu’une internalisation des compétences.
Par exemple, le programme Petites villes de demain propose en premier chef aux territoires concernés des enveloppes pour des études menées par des cabinets d’urbanisme. Si certains en ont vraiment besoin, d’autres pas du tout car ils sont déjà dans des phases opérationnelles ! Il faudrait que ces fonds soient personnalisables et utilisables en fonction de leurs besoins.

La reco de Vincent Gollain et d’Aurore Thibaud sur l’appel à des cabinets d’experts : misez sur une expertise spécifique et sur la durée.  

Vouloir tout internaliser dans une collectivité, ou dans une entreprise, est un leurre. Il y a forcément des experts de certains sujets dans d’autres structures, que ce soit des cabinets de consultants, ou un expert d’une autre collectivité locale qui a fait face à la même problématique que vous.
“Il nous arrive de mettre nos clients en lien dans ce but : Alexandra Menetrier-Duagues, responsable attractivité du CD de la Haute-Marne a ainsi visité la conciergerie créée par la Corrèze afin de mieux construire la sienne », confie Aurore Thibaud.

Les collectivités locales ont aussi besoin d’apprendre à faire, à se tromper, à refaire, et à réussir, c’est-à-dire à adopter la logique de “test and learn” qui est si commune en entreprise et dans la recherche et qui permet in fine d’avoir la bonne démarche. Dans cette logique, elles peuvent faire appel à des expertises en interne, notamment des entreprises innovantes, qui vont leur faire « passer des caps » de connaissance. 

Par ailleurs, si la vision à long terme est l’alliée d’une stratégie d’attractivité efficace pour les élus, elle l’est aussi pour les intervenants extérieurs : “Lors de notre travail avec les territoires, la durée est l’alliée de notre expertise, commentent les deux experts. Mieux vaut pour les collectivités ou les agences d’attractivité privilégier des contrats sur plusieurs années qui permettront au cabinet extérieur d’affiner sa connaissance des enjeux du territoire, un élément primordial au service de l’efficacité d’une politique d’attractivité qui se joue sur le long terme.”

 

5. Remettre la sociabilité au cœur du projet d’accueil.

Vincent Gollain : Il y a trois défis majeurs dans l’accueil des talents : 

    • Le premier, connaître de manière très fine les compétences disponibles sur le territoire avant d’aller en chercher d’autres à l’extérieur. Cela implique de savoir quels emplois sont non pourvus localement et de travailler sur l’adéquation emploi/formation.
      Prenons l’exemple de l’installation de Toyota dans le Nord de la France dans un bassin de l’emploi où le taux de chômage était élevé. Pendant plusieurs années, les pouvoirs publics ont dépensé de l’argent pour adapter les compétences disponibles localement aux postes proposés via des formations professionnelles ou des dispositifs d’insertion.  Et lorsque cela ne fonctionne pas, l’attractivité est un levier intéressant.
    • Le deuxième défi est celui de l’accueil des télétravailleurs. S’ils sont des acteurs intéressants pour le développement de l’économie territoriale, il faut prendre en compte leurs besoins et favoriser leur intégration dans le tissu local par la création d’un lieu de socialisation comme un tiers-lieu. Il faut leur donner l’envie de s’investir encore plus. Encore une fois, bien identifier les profils des télétravailleurs sur mon territoire est le meilleur moyen de mieux les comprendre pour mieux agir. C’est tout le sens du marketing : écouter la voix du client ! ».
    • Le troisième défi est de faire évoluer le rôle des acteurs touristiques pour les impliquer dans l’attractivité résidentielle. Il y a des offices de tourisme aujourd’hui qui réfléchissent à leur transformation pour être à la fois lieux d’accueil des nouvelles populations, un croisement avec les populations existantes et touristique avec parfois un coin café. Finalement ça devient un peu un tiers lieu de la rencontre entre les gens qui arrivent ou qui viennent de manières temporaires avec celles et ceux qui vivent là. Le bâtiment de l’Office de tourisme de Marmande (Lot-et-Garonne) est très intéressant car il permet de faciliter les échanges entre habitants et visiteurs.

La reco d’Aurore Thibaud pour relever le défi de l’accueil de nouveaux talents : remettre la sociabilité au cœur du projet d’accueil. 

Proposition d’accueil et d’accompagnement concrète de la part d’un de nos client : le CD de la Haute-Marne

“La question de la sociabilité du nouvel arrivant est centrale, pour en faire quelqu’un qui reste ! Et c’est le moment d’innover dans ce domaine.
Il y a deux pistes pour moi :
je crois beaucoup aux offices de tourismes comme nouveaux acteurs de l’attractivité résidentielle : cette approche est encore naissante mais nous travaillons actuellement chez Laou avec la Région Bourgogne-Franche-Comté pour faire de l’office du tourisme un nouveau lieu d’accueil, de renseignement et de mise en réseau pour le nouvel habitant potentiel. Pour notre dernière newsletter, j’ai rencontré Béatrice Kerfa, la directrice de l’office de tourisme de Joigny (Yonne) car elle a révolutionné son office pour soutenir l’attractivité résidentielle. D’autres territoires s’y ont aussi mis dernièrement. 

La deuxième piste est le recrutement d’un.e concierge / chargé d’accueil de territoire.
Son profil ? Un mix de toutes les communautés que l’on voudrait attirer. Cette personne devra savoir parler à un télétravailleur, à un CSP+ , à un ouvrier ou à une aide-soignante avec une vraie volonté de promouvoir son territoire. Elle endossera un rôle d’information, mais surtout de sociabilisation avec empathie et bienveillance. Louise Martin, chargée d’accueil de la Haute-Marne va jusqu’à aider les familles à porter leurs cartons le samedi matin avec des amis. Si on fait le parallèle avec les entreprises, ce serait une sorte de Chief happiness officer des territoires !