Urgence climatique : les néo-ruraux sont-ils la solution ?

Qui sont les néo-ruraux ? Faut-il les attirer sur son territoire ou au contraire les éviter ? Pourquoi ont-ils parfois une mauvaise image après des locaux ? En permettant une meilleure répartition de la population sur le territoire, les néo-ruraux sont-ils une des solutions à l’urgence climatique ? 

Néo-rural emblématique, Henri Landes est passionné par L’Auvergne et son terroir. Il est aussi professeur à Sciences Po, spécialiste de la politique du climat, de l’économie et du dynamisme rural. Depuis 2019, il est le cofondateur de Landestini, un fond de dotation et une association à but non lucratif qui a pour mission de reconnecter les humains à la terre, à la nature, à la ruralité, et de contribuer à la préservation et à la diversité du vivant.
Dans son dernier livre,
Repeupler les campagnes, paru aux éditions de L’Observatoire, il réfléchit à une question fondamentale : « Comment organiser l’exode urbain pour répondre à l’urgence écologique » ?

 

Si Henri Landes se définit avant tout comme “un citoyen de notre belle planète”, c’est parce qu’il passe tout son temps à la défendre. Mais il ne le fait plus depuis le cabinet parisien du Président de l’Assemblée Nationale où il faisait selon lui “de l’écologie de bureau”.

A l’époque, il constate qu’il existe un “immense décalage entre le traitement, l’expression, l’écoute des élus ruraux et les élus urbains” mais aussi que “les questions de ruralité, d’agriculture et d’alimentation sont insuffisamment traitées à Paris, et au niveau politique”.

Depuis, il a quitté la capitale pour vivre dans une ferme en Haute-Loire mais il continue d’enseigner à Sciences Po et HEC Paris pour mieux planter les graines dans la tête des jeunes pousses. La plupart du temps, il codirige avec son épouse la journaliste Fanny Agostini, l’association Landestini basée dans leur ferme. Leur but ? Œuvrer pour la transition écologique et la promotion de la ruralité. Je suis beaucoup plus à l’aise aujourd’hui avec mon engagement depuis que je mets les mains dans la terre”, explique le franco-américain devenu auvergnat d’adoption

Comment définir les néo-ruraux ?

Henri Landes : En préambule, je tiens à dire que j’assume totalement le fait que je suis un néo-rural mais ma femme Fanny, elle, a grandi dans le Puy-de-Dôme jusqu’à ses 18 ans : elle est Auvergnate et Corse. Son grand-père était maraîcher et apiculteur : la violence pour elle, a été de vivre dix ans à Paris.  Alors que moi, je suis complètement dans la définition : un néo-rural est une personne qui s’installe en milieu rural pour la première fois et dont la famille n’en est pas originaire. Il y a autour de ce phénomène, une discussion sur leur manque de connaissance de cette ruralité, sur leurs comportements qui pourraient être perçus comme urbains et en face, une certaine méfiance des habitants ruraux vis-à-vis de ces nouveaux arrivants. Mais peut-être que le néo-rural est aussi cette personne qui étouffe dans l’urbanité et souhaite tout simplement changer de vie parce qu’elle a besoin de plus d’espace, de nature, de sobriété dans sa vie.”

Vous-même, comment avez-vous été accueilli ?

Henri Landes : On a de la chance à Boisset où nous vivons en Haute-Loire, parce que le maire, André Poncet, est vraiment formidable, que ce soit en termes d’accueil, d’ouverture, de dynamisme. Parfois, même ma femme, Fanny Agostini, peut être perçue comme une néo-rurale parce qu’elle a vécu à Paris alors qu’elle ne l’est pas. Mais dès que l’on arrive avec humilité, les habitants sont très accueillants, et nous avons une grande chance, autant à Boisset que dans les autres territoires auvergnats. ” 

“Un équilibre est possible mais on n’atteindra pas l’ouverture d’esprit des locaux si les néo-ruraux ne sont pas humbles en arrivant.” 

Qu’avez-vous mis en place pour vous intégrer ?

Henri Landes : “J’essaye, dans tout ce qu’on fait avec Landestini, d’avoir l’humilité comme fil conducteur parce que si on démontre ce qu’on peut faire, les gens l’apprécient. Et je fais aussi avec les autres : j’ai beaucoup appris des villageois et des voisins sur les modes de vie traditionnels qui sont en fait tout à fait écoresponsables, et sur la sobriété heureuse dont parle Pierre Rabhi et la transition écologique. 

Pour que la cohabitation avec les néo ruraux (dont le nombre devrait augmenter, j’espère !) se passe bien, cela sous-entend aussi une ouverture d’esprit de la part des personnes qui sont en ruralité. D’un autre côté, il faut se souvenir d’un élément important : l’exode rural a causé beaucoup de souffrances en emportant avec lui l’activité économique, les emplois, l’attachement à la culture, l’attention de la politique publique, des investissements… Un équilibre est possible mais on n’atteindra pas l’ouverture d’esprit des locaux si les néo-ruraux ne sont pas humbles en arrivant. 

J’ai vu beaucoup d’installations en ruralité échouer, et cela me peine : c’est aussi le sens de notre action (de la mienne à titre personnel et celle du collectif Landestini), d’être utile pour les personnes qui ont un projet de vie à la campagne. On aide énormément au réseautage positif, opérationnel, très local. La transition écologique, la situation économique aujourd’hui, nous impose de l’entraide, en plus de tout le canal classique.”

Que recommandez-vous aux élus locaux? 

Henri Landes : “Travaillez avec toutes les entités qui œuvrent pour la ruralité et prenez le temps de découvrir ce que fait chacun, Laou etc. Côté Landestini, nous accompagnons les élus des petites communes rurales dans un programme entrepreneurial avec un incubateur pour anticiper la fermeture des petits commerces. On est aussi en train de mettre en place un programme de transmission des fermes pour anticiper la retraite avec la Chambre d’agriculture du Cantal. Et j’espère qu’on va pouvoir déployer ce dispositif dans d’autres territoires !

“Il n’y a pas de débat suffisamment explicite sur le lieu de vie dans notre société : je le regrette profondément.
Guillaume Faburel parle de l’insoutenabilité des villes, la chercheuse Valérie Jousseaume vient de publier “plouc pride”, l’ingénieur Jean-Marc Jancovici parle des villes comme une incarnation de notre déni collectif de pouvoir vivre continuellement en tant que Superman avec plein d’esclaves qui font la partie énergétique pour nous ailleurs. Donc, les éléments pour le débat sont là mais il n’a pas lieu, je le regrette profondément.”

Ensuite, nous allons créer un outil national pour des campagnes vivantes : l’Institut de la Ruralité. Il aura trois gros leviers : entrepreneuriat, pédagogie, éducation et soutien aux petites entreprises et associations rurales existantes. Les objectifs sont d’impulser l’entrepreneuriat dans la ruralité, l’éducation au mode de vie de la ruralité et aussi la sensibilisation de grands publics.” 

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Dans votre livre, vous dites qu’en 1900, les fruits et légumes consommés en ville parcouraient en moyenne 100 kilomètres jusqu’à nous et aujourd’hui, c’est 790. Pourquoi continuons-nous de cultiver l’idée que les hyper métropoles sont une solution écologique ? 

Henri Landes : “Les économies d’échelle sont souvent utilisées pour l’argumentaire de l’efficacité de maintenir du commerce mondial sur l’alimentation. Je ne préconise pas d’arrêter le commerce, en revanche il faut drastiquement relocaliser notre consommation et réapprendre à vivre avec beaucoup moins de production physique. Et puis, c’est un bonheur de le faire, personnellement, je suis plus heureux aujourd’hui : il y a un épanouissement charnel, émotionnel lorsqu’on est en contact avec la nature, l’espace, les animaux, que l’on consomme directement auprès des producteurs. Et je souhaite ça à tout le monde, je souhaite que plus de personnes rejoignent la campagne parce qu’il y est plus facile d’être écoresponsable jusqu’au bout.

« Et je souhaite ça à tout le monde, je souhaite que plus de personnes rejoignent la campagne parce qu’il y est plus facile d’être écoresponsable jusqu’au bout ».

Il n’y a pas de débat suffisamment explicite sur le lieu de vie dans notre société : Guillaume Faburel parle de l’insoutenabilité des villes, la chercheuse Valérie Jousseaume vient de publier “plouc pride”, l’ingénieur Jean-Marc Jancovici parle des villes comme une incarnation de notre déni collectif de pouvoir vivre continuellement en tant que Superman avec plein d’esclaves qui font la partie énergétique pour nous ailleurs. Donc, les éléments pour le débat sont là mais il n’a pas lieu, je le regrette profondément.”

There Is No Planet B | PLANET FIRST - PEOPLE FIRST Copenhage… | Flickr

“Si on réussit à mieux répartir la population vers la ruralité, on vivra de manière plus équilibrée, plus sobre. Et plus innovante aussi !”

Le sous-titre de votre dernier livre est “Comment organiser l’exode urbain pour répondre à l’urgence écologique ?” qui est aussi l’un des objectifs principaux de LAOU. Pourquoi une meilleure répartition de la population entre urbains et ruraux est-elle nécessaire pour répondre aux défis écologiques actuels ?

Henri Landes : “Pour commencer, je remets en question de manière assez forte, presque militante, l’idée que la population sera à 80 % urbaine d’ici 2050. Je considère que c’est presque la même stratégie de communication qui a été utilisée pour dire que l’agriculture industrielle nourrira la planète que de dire que la population sera urbaine. La réalité, c’est qu’au lieu de dire que la demande d’exode urbain va grandir, ce discours permet de continuer à produire beaucoup de choses physiques et de tertiariser l’économie en parallèle pour une population très consommatrice.

“Je remets en question de manière assez forte, presque militante, l’idée que la population sera à 80 % urbaine d’ici 2050.”

Deuxièmement, je trouve qu’ on aura une société beaucoup plus équilibrée quand on sera réparti à 20%, 30, 40 ou même 50% de la population entre de la ruralité un peu profonde des petites communes rurales, des communes de 5 à 10 000 habitants et des villes moyennes. Mais il ne faut pas juste prendre les urbains et les mettre dans les campagnes, il faut vraiment les accompagner.  Si on réussit à mieux répartir la population vers la ruralité, on vivra de manière plus équilibrée, plus sobre. Et plus innovante aussi !”

“Arrêtons de concevoir des politiques publiques faites pour les métropoles qui sont le coeur du problème de l’étalement urbain, et de les appliquer ensuite à la ruralité : on doit différencier les politiques publiques en fonction du territoire !” 

Pourquoi dites-vous que la campagne est notre « Planète B » ? 

La campagne est notre planète B, parce que nous l’avons désertée. On n’y vit pas en grand nombre et on y vit mieux. C’est un peu plus facile de vivre et de contribuer à la transition écologique quand on est à la campagne. Il est trop tard pour manifester sur la prise de conscience du changement climatique. La solution, c’est de repeupler les campagnes. Les militants écologistes doivent être les premiers à s’y installer et à contribuer à ce mouvement, en intégrant l’écosystème local, les savoir-faire et en apportant leur pierre à l’édifice de manière humble. Je pense qu’ils sont parmi les meilleurs candidats pour faire ça.
Donc allons-y à fond !”

1 loi et 5 propositions innovantes d’Henri Landes

Pour Henri Landes, co fondateur de Landestini, un fond de dotation et une association à but non lucratif qui a pour mission de reconnecter les humains à la terre, à la nature, à la ruralité, et de contribuer à la préservation et à la diversité du vivant, tous les outils sont nécessaires tant qu’ils travaillent ensemble. “J’aime bien la proposition de Jean Viard de créer un Office de l’exode urbain ! De mon côté, je reste persuadé de l’utilité d’une loi car les lois créent du débat, et ces débats sont repris dans les médias, etc.”

Cette proposition de loi comporte 5 solutions innovantes et surprenantes pour la ruralité.

  • La création d’un office pour décentraliser des entreprises et favoriser la création de micro-antennes dans les territoires ruraux.
  • Une fiscalité spécifique pour la ruralité. “Il est impératif de créer des outils financiers pour que les villes soutiennent les territoires ruraux. La campagne a beaucoup d’atouts pour la production de services essentiels qui ne sont pas du tout valorisés économiquement et encore moins d’un point de vue fiscal. Tout comme elles ne bénéficient pas du fait que grâce à elles, il y a de l’agriculture, mais aussi des forêts, de la dépollution de l’air, des cours d’eau, etc. ça aussi, il faut le valoriser économiquement.” 
  • Une réutilisation obligatoire du bâti ancien pour répondre à la demande de nouveaux logements. Rénover un corps de ferme qui tombe en ruine ne devrait pas coûter une fortune !
    Il faut aussi revoir l’articulation de l’objectif zéro artificialisation nette pour que ce ne soit pas double peine pour les communes.
    Je m’explique : si la commune a des espaces agricoles qu’elle doit maintenir, notamment pour les villes, et qu’elle ne peut pas construire sur des espaces agricoles cela l’empêche d’accueillir de nouvelles populations : pour moi, ça s’appelle une double peine, voire même une triple ! Le ZAN est un bon objectif national, mais qui doit être articulé de manière juste entre les communes rurales et les métropoles. Ça, ça doit être le résultat de cette loi et d’un réel débat. Arrêtons de concevoir des politiques publiques qui faites pour les métropoles qui sont le coeur du problème de l’étalement urbain, et de les appliquer ensuite à la ruralité : on doit différencier les politiques publiques en fonction du territoire !
  • Une redéfinition de la RSE. La RSE est l’entreprise engagée ou l’entreprise à mission. Et elles ne peuvent pas vivre sans les territoires ruraux qui gèrent certains de leurs services et ressources. Dans cette loi, je considère qu’il est nécessaire de remettre en redéfinir ce que c’est la RSE en y intégrant un dispositif rural et de territoire.
  • La création d’un service agricole et d’un service écologique obligatoire. En premier, le service agricole parce qu’aujourd’hui, on est complètement déconnectés. A l’instar du service militaire, il obligerait chacun à mettre un jour les mains dans la terre pendant un mois. Heureusement nous avons encore 400 000 fermes sur notre territoire. Mais pour qu’il n’y en ait pas deux fois moins demain, il faut se reconnecter à l’agriculture. 

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