Avec ses excellents résultats, ce collectif de 23 partenaires a créé une approche qui intéresse déjà de nombreux territoires. Miser sur l’accompagnement personnalisé, la coordination des acteurs locaux et le temps long...
A priori, ce sont des éléments dans lesquels peuvent se reconnaître toutes les conciergeries de territoire. Sauf que Présence médicale 64 va plus loin. Derrière des valeurs communes, la façon dont les Pyrénées-Atlantiques les met en application est unique et redoutablement efficace.
Dès l’expérimentation du dispositif, leur priorité a été d’être au plus près des besoins des médecins. Et après avoir précisément étudié le parcours d’installation des internes et médecins généralistes, ils ont fédéré tous les organismes de ce parcours pour les intégrer au projet.
Et bien plus, puisqu’ils font tous partie du cercle de gouvernance de la marque. Tout comme des internes et des généralistes du territoire, chacun a voix au chapitre des décisions et représente Présence médicale 64 sur le terrain.La responsabilité, les décisions, les actions : tout est partagé et décidé de manière horizontale par le collectif.
Chaque décision est prise au consentement c’est-à-dire que la proposition est validée si aucun membre n’oppose d’objection raisonnable. Ce n’est pas le politique qui décide seul : c’est en concertation avec le terrain.
Voici le compte-rendu de notre entretien avec Nadine Hialé, directrice de Présence médicale 64, pour en savoir plus sur ce dispositif unique.

Nadine Hialé, directrice de Présence Médicale 64
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Présence médicale 64 en un coup d’œil
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Pouvez-vous présenter le dispositif Présence médicale 64 ?
« Présence médicale 64 est un guichet unique pour l’installation des médecins dans les Pyrénées-Atlantiques. Nous l’avons expérimenté en 2017 sur des zones en désertification médicale. Face au succès rencontré, nous l’avons déployé en 2019 sur l’ensemble du département.
Notre approche repose sur un accueil personnalisé et du sur-mesure. Nous ne proposons ni prime supplémentaire ni embauche conditionnée. Notre rôle est d’écouter et de coordonner. Pendant l’expérimentation, nous avons constitué un collectif de 23 organismes regroupant tous les acteurs de la santé et du territoire : CPAM, MSA, université de Bordeaux, syndicats des jeunes internes, centres hospitaliers, URPS, Conseil territorial de santé, région Nouvelle-Aquitaine, et toutes les intercommunalités du département.
Nous avons créé une marque territoriale qui porte une mission d’intérêt général, copilotée avec l’ARS Nouvelle-Aquitaine. C’est avant tout un état d’esprit basé sur l’humilité et le respect. Nous ne faisons pas à la place des autres, nous additionnons les compétences. »
« Ce n’est pas le politique qui décide seul, c’est une gouvernance partagée. Nous avons re-médicalisé la gouvernance pour partir de la réalité du terrain. »
Nadine Hialé, directrice de Présence Médicale 64

Vous parlez d’intelligence territoriale. Concrètement, comment cela fonctionne ?
« Notre collectif propose du sur-mesure et nous adaptons en permanence nos propositions aux besoins des médecins. Prenons un exemple : les jeunes médecins veulent souvent un exercice mixte. Nous avons donc discuté avec les hôpitaux partenaires la création de contrats pour deux ou trois jours par semaine (alors qu’avant, ils ne proposaient que des temps plein). Les médecins accompagnés sont ensuite mis en relation avec un interlocuteur au sein de l’hôpital. Et ce sera toujours le même -pour lui, comme pour nous- parce ce référent appartient lui aussi à l’équipe.
Cette organisation nous permet de mutualiser nos forces, de valoriser nos ressources et d’impliquer tous les acteurs du territoire. Tous nos partenaires participent aux comités de pilotage où les décisions sont prises collectivement. Ce n’est pas une approche verticale, c’est une gouvernance partagée qui part de ce que vivent les médecins au quotidien. »
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Intelligence collective mode d’emploi : Lorsque vous lirez que la méthode Présence médicale 64 repose sur l’humain, l’écoute et le sur-mesure vous aurez sûrement tendance à vous dire que vous le faites déjà. Ne vous arrêtez pas à cela car leur mode de gouvernance va bien plus loin. 1- Etude du parcours client des internes et des médecins généralistes pour identifier les partenaires potentiels 2- Identifier un interlocuteur unique chez chacun des partenaires pour construire ensemble une offre qui répond aux besoins des médecins 3- Intégrer ces partenaires au cercle de gouvernance de la marque territoriale PM64 pour que toutes les réflexions et les prises de décisions se mènent ensemble. |
Qui accompagnez-vous en priorité ?
« Nous travaillons principalement avec la centaine d’internes qui vient chaque semestre en stage de 6e année. Deux fois par an, nous organisons une soirée d’accueil au Parlement de Navarre où tout le monde se mélange : élus, médecins accompagnés, internes. Nous les incitons à découvrir le territoire en leur offrant aussi quelques avantages – forfait ski, billets pour le petit train de la Rhune.
Pour les médecins déjà diplômés, l’accompagnement est sur-mesure : nous écoutons leurs envies professionnelles et personnelles. Cette co-construction est essentielle.
Avant d’être médecins, les internes sont des jeunes. Et leurs envies ont changé ! Ils veulent travailler en cabinet de groupe, faire du remplacement, ne travailler que 2-3 jours par semaine… Pour rester à jour, nous faisons des sondages tous les 6 mois auprès des internes qui font partie de notre gouvernance. »
« La différence avec d’autres dispositifs ? Nous avons créé un réseau d’hospitalité qui est devenue une vraie communauté. Et pas sur les réseaux sociaux ! »
Nadine Hialé, directrice de Présence Médicale 64
En quoi votre accompagnement diffère-t-il d’un accompagnement classique d’attractivité résidentielle ?
« Notre accompagnement est profondément humain. Nous n’imposons aucun contrat d’installation mais nous proposons un contrat moral. Une fois installés, ils peuvent à leur tour accompagner d’autres médecins qui hésitent, devenir maître de stage universitaire, témoigner lors de nos événements… Les médecins accompagnés deviennent des contributeurs actifs du réseau. Nous avons créé une vraie communauté, humaine et ancrée sur le territoire. »
Quels sont vos résultats concrets ?
« En juin 2025, nous comptabilisons pratiquement 60 installations. Je précise que nous ne comptabilisons que les installations pour lesquelles nous avons réalisé un accompagnement dans la durée (plusieurs mois), pour être honnêtes sur nos résultats.
Quand nous avons démarré en 2018, le département comptait 696 médecins généralistes avec une moyenne d’âge de 53 ans. En 2021, nous étions descendus à 671. Aujourd’hui, nous sommes remontés à 700 médecins généralistes avec une moyenne d’âge de 48 ans. Nous affichons la 3e plus forte progression de densité médicale en France. »

Présence médicale 64 en chiffresRépartition des 62 installations :
Origine des contacts :
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Malgré ces résultats impressionnants, quels défis restent à relever ?
« La première difficulté concerne la stabilité des interlocuteurs. Les référents changent, il faut constamment intégrer les nouveaux arrivants et leur transmettre l’esprit du projet.
La deuxième est d’ordre financier. Nos crédits de cofinancement arrivent à échéance en fin d’année et nous devons absolument les pérenniser pour assurer la continuité du dispositif.
Concernant les installations elles-mêmes, notre plus grande difficulté concerne les zones de montagne et de grande ruralité. Nous avons par exemple installé 4 jeunes médecins dans une zone de grande ruralité : ils sont tous partis. Ces zones restent extrêmement fragiles et nécessitent des solutions innovantes que nous devons encore inventer. Mais soyons lucides : le problème de fond reste la pénurie structurelle de médecins généralistes au niveau national. »

Comment transposer votre méthode ailleurs ?
« En 2023, nous avons obtenu des crédits CNR en tant que territoire pilote pour le déploiement du guichet unique, autour de trois missions : consolider notre projet, l’évaluer et aider d’autres territoires à s’en inspirer. Je dis bien ‘s’en inspirer’ car on ne peut pas dupliquer notre modèle tel quel.
Nous avons reçu 34 sollicitations : 2 départements que nous avons reçus – le Lot-et-Garonne et les Landes –, 18 autres départements, 9 collectivités, 7 hôpitaux. L’ARS Nouvelle-Aquitaine s’est inspirée de nos fondamentaux pour créer un cahier des charges ‘Terre d’accueil jeune médecin’, diffusé dans toute la région.
Beaucoup nous disent que nous ne devrions pas partager nos méthodes. Je ne suis pas d’accord : partager est une richesse. Le vrai défi, c’est de réunir autour de la table l’ensemble des acteurs de la santé et des territoires et de créer une dynamique de coopération.«
Quels sont les ingrédients réplicables de votre réussite ?
« Je préfère parler de transposition plutôt que de réplication. Notre dispositif est unique et spécifique aux Pyrénées-Atlantiques, on ne peut pas le dupliquer tel quel. En revanche, notre réussite repose sur quatre piliers fondamentaux qui peuvent s’appliquer à n’importe quel territoire.
- 1er pilier : partir de la réalité du terrain. Il faut bien connaître son territoire mais aussi comprendre comment votre cible veut vivre aujourd’hui.
- 2e pilier : créer une maison commune. Une marque territoriale co-construite avec tous les acteurs. Chaque membre du collectif détient une partie de la solution.
- 3e pilier : le collectif. Nous sommes probablement le seul département à avoir réuni autant d’acteurs sous une marque que tout le monde s’est appropriée.
- 4e pilier : l’humain. Nous n’avons pas toutes les réponses, mais ensemble, nous trouvons toujours une solution. Il a fallu deux ans d’expérimentation pour apprendre à se connaître. Aujourd’hui, le collectif se régule lui-même, c’est ça l’intelligence collective. »


