L’hospitalité territoriale se réinvente. Là où les week-ends collectifs ont longtemps dominé les stratégies d’attractivité résidentielle, l’accueil individualisé gagne du terrain. Non par rejet du collectif, mais par complémentarité : en Haute-Marne, Sophie Malhanche continue d’organiser des séjours de groupe tout en développant les visites personnalisées. En Auxois Morvan, Jérémy Fortecoeffe a d’emblée misé sur l’individuel.

Leurs bilans respectifs : 14 installations sur 14 accueils de groupe en Haute-Marne (15%), contre 25 installations sur 40 accueils individuels (plus de 50%) dans les 2 territoires. Ces chiffres posent question : les accueils individuels ont clairement de meilleurs résultats en plus de bien d’autres avantages. Autre phénomène nouveau : l’émergence de ces séjours particuliers offrent une évolution intéressante aux séjours de groupes. 

Sophie Malhanche, chargée d’accompagnement à la Conciergerie de territoire de Haute-Marne et Jérémy Fortecoeffe, chargé de mission Accueil/Attractivité au PETR Auxois Morvan en Bourgogne-Franche-Comté, tous deux partenaires de Laou, nous livrent leur analyse, complétée par celle de Laou, qui a le recul chiffré de plus de 15 séjours immersifs collectifs organisés dans ses territoires partenaires. 

Décryptage de deux approches complémentaires et analyse d’une mutation des pratiques.

Séjours immersifs : l’accueil individuel, nouvelle norme de l’hospitalité territoriale ?

De nombreux territoires qui organisaient des week-ends collectifs basculent vers l’accueil individualisé. Après plusieurs années d’engouement pour les séjours de groupe, cette évolution interroge : l’individuel est-il plus efficace ? Moins chronophage ? Quels résultats concrets obtient-on de part et d’autre ?

Un constat en chiffres par Aurore Thibaud, avant de plonger dans le témoignages de nos invités : pour le dernier week-end collectif organisé par Laou dans les Vosges, 64 familles ont été invitées. Après relances, 12 se sont finalement présentées, soit un taux de présence de 20%. Ce chiffre illustre l’une des principales difficultés de l’événementiel d’attractivité : le « no-show », cette problématique des annulations très en amont, ou de dernière minute, qui peut peser sur les équipes organisatrices et qui surtout prend beaucoup de temps. Sur place, évidemment, les familles sont ravies et l’équipe se rend compte du résultat de son travail, mais la question du temps agent reste un vrai sujet. 

Familles présentes lors du séjour immersif collectif organisé par Laou et le CD des Vosges en octobre 2025. @Laou.

Pourquoi avoir choisi cette formule d’accueil individuel pour votre territoire ?

Sophie Malhanche : « Mon premier week-end en septembre 2024 m’a convaincue que ce serait le dernier. Beaucoup de personnes contactées, beaucoup d’annulations de dernière minute sans même s’excuser. Tout est payé d’avance, et cela fait partie du problème de ce type d’accueil. Nous continuons néanmoins à organiser les deux types de séjours, mais en ciblant désormais nos week-ends collectifs par thématiques. Par exemple, nous préparons un séjour médical pour mai 2025 et souhaiterions organiser un week-end spécial pour les trentenaires. »

Jérémy Fortecoeffe : « J’ai systématisé les séjours individuels principalement pour gagner du temps, tant pour les candidats que pour moi. Cela me permet de comprendre en profondeur les dynamiques qui portent les projets de mobilité. Côté candidats, ils voient rapidement si le territoire correspond à leurs attentes. Et s’il ne convient pas, je transmet le dossier à un autre chargé d’accueil. C’est l’un des avantages de notre démarche régionale en Bourgogne-Franche-Comté.« 

« Je ne suis pas là pour vendre un territoire, mais pour accompagner un projet. » »
 Jérémy Fortecoeffe, PETR Auxois Morvan

Aurore Thibaud : « Les séjours collectifs que Laou a organisés – plus de 15 à ce jour – sont des aventures humaines inoubliables, des moments précieux. Comme l’une des craintes des gens qui déménagent en ruralité est de se sentir isolés, ces week-ends y répondent : cette réassurance est essentielle. Mais le constat est là : trop chronophage, un taux de transformation inférieur à celui des accueils individuels, l’équivalent de six mois de travail d’un équivalent temps plein, plus le budget d’accueil, pour seulement dix familles. Même si la moitié s’installait, ça resterait trop peu au regard de l’énergie engagée ! Pour le même temps de travail d’un agent, vous pouvez prévoir trente séjours individuels. Et pour diminuer encore le coût, l’organisation peut être entièrement internalisée.

Plutôt que d’appeler 100 familles pour en avoir 15, chez Laou, nous préférons désormais passer plus de temps à préqualifier les candidats pour les envoyer en séjour individuel. »

Séjour collectif santé organisé par la conciergerie de la Haute-Marne en 2025.

Concrètement, comment organisez-vous ces séjours d’accueil individuels ?

Sophie Malhanche : « C’est très léger ! Si j’ai besoin de contacter des intervenants extérieurs, comme la Chambre des Métiers et de l’Artisanat pour un candidat boulanger, cela se fait en quelques jours. Sinon, il n’y a que la réservation du restaurant et la préparation de notre espace d’accueil. C’est très important d’avoir aménagé cet espace au sein de la conciergerie de territoire : une pièce à l’ambiance cosy, avec boissons, café, et même la possibilité d’y déjeuner. Et comme l’agence est proche du centre-ville de Chaumont, on peut faire beaucoup de choses à pied. »

Jérémy Fortecoeffe : « Si je devais quantifier, je dirais 3 à 4 heures fragmentées sur une ou deux semaines, le temps d’avoir les réponses des différents acteurs. Je place d’abord sur une carte les différents endroits où je vais amener les candidats, puis je réfléchis par quelles routes passer, pour que le trajet serve à leur montrer des choses en lien avec leur projet.
J’essaie vraiment de ne pas faire venir les personnes sur les moments de festivités, mais plutôt en semaine. C’est plus contraignant pour eux, mais je me dis que si le territoire les séduit même en semaine, il leur plaire encore plus les week-ends. »

« Je pense avoir organisé environ 25 accueils depuis ma prise de poste. Aujourd’hui, 17 foyers se sont installés sur le territoire, et quasiment tous reçus en accueil individuel. Ce qui marche ?
A la fin de chaque séjour, tous sont capables de prendre une décision s’ils continuent leur démarches… ou pas ! » »
Jérémy Fortecoeffe, PETR Auxois Morvan

Quel budget et quelles ressources mobilisez-vous ?

Sophie Malhanche : « En séjour collectif, nous prenons en charge tous les frais des candidats sur place. Alors que les séjours individuels représentent moins de temps d’organisation et de budget : nous les invitons simplement au restaurant ou à prendre un café. »

Jérémy Fortecoeffe : « Le budget mis à disposition pour les candidats est assez limité : 10 à 15 euros dans le kit de bienvenue, donc toutes les dépenses seront à leur charge. J’aborde cet aspect en amont pour qu’ils anticipent ces dépenses. Donc, mis à part le temps agent qui fait partie de mes missions, c’est peu de frais. »

Pour réussir ses accueils individualisés, Jérémy Fortecoeffe a rassemblé autour de lui un panel de partenaires, à qui il présente la démarche régionale dans laquelle il s’inscrit.

Aurore Thibaud : « Le budget pour moi n’est pas la clé de l’accueil, le plus important, c’est le temps agent et la disponibilité pour faire découvrir le territoire. Sans parler d’accueil pendant une journée ou une demi-journée, certaines équipes hospitalité ne se sentent même pas autorisées à prendre un café avec un candidat qui passe dans le territoire.
Pour moi, cela handicape un service accueil de ne pas pouvoir réaliser ce geste simple, à la base de l’hospitalité. Cependant, chacun fait avec les limites fixées par sa collectivité, et avec sa propre vision de son métier. D’ailleurs, pour aider les services accueil à savoir quelle pourrait être la ‘norme’ d’accueil, nous travaillons sur un ‘référentiel métier’ pour le « chargé de mission accueil / hospitalité », en échange avec différents partenaires, notamment avec la Chaire Attractivité de l’Université Aix-Marseille. »

« L’équipe de Laou travaille avec ses partenaires à la création d’un référentiel métier pour les
chargés de mission accueil et attractivité résidentielle »
Aurore Thibaud, cofondatrice de Laou

Quels résultats obtenez-vous en termes d’installations ?

Sophie Malhanche : « Clairement, beaucoup plus d’installations depuis qu’on privilégie l’individuel ! Les chiffres parlent d’eux-mêmes : nous avons organisé 14 accueils de groupes qui ont généré 14 installations, soit un taux de 15%. En comparaison, sur 40 accueils individuels, nous avons obtenu 25 installations plus deux en cours, soit plus de 50%. En 2025 spécifiquement, nous avons réalisé 21 accueils individualisés avec un taux d’installation de 52,4%

En ce moment, j’accompagne un ex-informaticien qui devient boulanger, une famille originaire de Haute-Marne. Je les ai reçus avec sa compagne pour visiter une boulangerie à Langres et j’ai invité la Chambre des Métiers et de l’Artisanat. S’il était venu en séjour collectif, il aurait été plus passif et en retrait. En collectif, on fait un tour du patrimoine, alors que là, on a visité le fournil ! Le rachat a été acté dès la fin du séjour. »

Extrait des statistiques de l’Auxois Morvan depuis septembre 2024, logiciel CATI, @Laou 2025, 75 personnes ont été envoyées en RDV à Jérémy par l’équipe de Laou, et 25 accueils individualisés ont été réalisés par Jérémy.

Jérémy Fortecoeffe : « Je pense avoir organisé environ 25 accueils depuis ma prise de poste. Aujourd’hui, j’ai 17 personnes installées sur le territoire, et quasiment toutes reçues en accueil individuel. Ce qui marche ? A la fin de chaque séjour, tous sont capables de prendre une décision s’ils continuent leur démarches… ou pas ! »

« Pour les territoires ruraux, petites et moyennes villes, la stratégie de la dentelle s’impose ! Et la dentelle ultime, c’est le séjour individuel. »
 Aurore Thibaud, cofondatrice de Laou

Comment personnalisez-vous les programmes selon les profils ?

Sophie Malhanche : « Nous ne proposons l’accueil personnalisé qu’à des candidats qui sont avancés dans leur démarche et connaissent le territoire. La visite se concentre uniquement sur ce qui les intéresse. Par exemple, j’ai récemment accompagné un candidat amateur de rugby et de gastronomie. Je l’ai emmené visiter les clubs sportifs locaux et découvrir la gastronomie locale en plus d’une visite à France Travail et chez les bailleurs sociaux. Aujourd’hui, il a obtenu une réponse positive pour son logement. Pourquoi la Haute-Marne ? Ses parents y sont nés, il revient par nostalgie et recherche la tranquillité. » 

Jérémy Fortecoeffe : « J’applique un traitement très équitable, c’est une notion de service public qui me semble fondamentale. Ce qui change, c’est pour certaines professions comme les médecins : c’est tellement spécifique que ça demande souvent plus de temps. J’essaie alors de leur faire rencontrer des pairs, ce qui n’est pas évident. Dans ces visites, je laisse toujours des moments où les candidats sont juste entre eux, en famille ou en couple. Les critères se négocient en interne, c’est important pour que ça se fasse de façon fluide. »

« L’avenir du séjour collectif est là : thématique et ciblé. »
Sophie Malhanche, chargée d’accompagnement à la Conciergerie de territoire en Haute-Marne

Quels sont les avantages et limites de votre méthode ?

Sophie Malhanche : «  »Ce ne sont pas vraiment des inconvénients, mais il faut une plus grande adaptabilité de l’emploi du temps du chargé d’accueil pour être au plus près des besoins et envies des familles accueillies. Parfois, ils appellent le soir après leur travail ou viennent en visite durant le week-end. »

@Laou 2025

Jérémy Fortecoeffe : « J’ai très peu d’annulations. Certaines personnes reculent leur visite. Parfois, je leur dis qu’ils ne semblent pas encore prêts, que leur hésitation est peut-être un signal. Je respecte beaucoup cette temporalité, celle des familles où plusieurs envies coexistent. Il ne faut pas brusquer les candidats. Je crois beaucoup au fait que vivre les choses, par leurs ressentis, les aide à clarifier leur vision et leur projet. »

Aurore Thibaud : « Le séjour individuel est plus raisonnable, plus efficace et génère moins de ‘no-show’ : une problématique majeure dans l’événementiel de l’attractivité. Il y a aussi moins de démotivation pour les équipes organisatrices face aux annulations de dernière minute. »

Quelle est votre vision de l’avenir de ces dispositifs d’accueil ?

Sophie Malhanche : « Nous continuons les séjours collectifs en les thématisant. Je suis persuadée que l’avenir du séjour collectif est là : thématique et ciblé. Si c’est trop large, ça devient une visite touristique. Nous préparons par exemple un séjour immersif pour les trentenaires. Le sourcing se fait via les amis d’un candidat ! Ce sont les ami-es d’un jeune qui est revenu, d’anciens de Haute-Marne qui ne veulent plus habiter dans les grandes villes. On invitera des entreprises pour un afterwork, leurs familles aussi. Les jeunes ont peur de partir à cause du manque de cercle social. Ces événements par groupes d’amis ne nous coûtent que la soirée car ils sont logés chez leur famille. »

« Je suis persuadée que l’avenir du séjour collectif est là : thématique et ciblé. Si c’est trop large, ça devient une visite touristique. Nous préparons par exemple un séjour immersif pour les trentenaires originaires de Haute-Marne. » 
Sophie Malhanche, chargée d’accompagnement à la Conciergerie de territoire en Haute-Marne

Jérémy Fortecoeffe : « Après avoir essayé d’autres formules, je crois vraiment à l’efficacité des accueils individuels. Les candidats sont très contents et ça les fait avancer dans leur projet, qu’il se concrétise ou non sur mon territoire. J’ai aussi la chance que mes élus me fassent confiance et me laissent carte blanche. Je pense que c’est important de laisser cette autonomie au chargé d’accueil, sans grande chaîne de validation. »

La boîte à outils Laou :

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