Début 2021, on compte 3,7 millions de résidences secondaires et de logements occasionnels en France (hors Mayotte), ce qui représente 9,9 % du parc de logements ordinaires (source : Insee). En parallèle, la ZAN et la baisse de la construction ont engendré une pénurie de logements.
Face à cette crise, le Pays Basque fait figure de pionnier avec des mesures inédites pour préserver l’accès au logement de ses habitants.

Katia Emerand,
DGA Stratégie territoriale, aménagement et habitat de la Communauté d’agglomération Pays Basque.
Katia Emerand, Directrice générale adjointe en charge de l’aménagement et de l’habitat de cette intercommunalité atypique – la plus grande de France avec ses 158 communes – décrypte pour Laou cette stratégie qui a ouvert la voie pour d’autres territoires.
La Communauté d’agglomération du Pays Basque en chiffres
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Comment votre territoire si diversifié fait-il face à cette crise du logement ?
« Notre intercommunalité, créée en 2017, est unique par sa taille et sa diversité. Nous avons un littoral extrêmement attractif touristiquement et économiquement, une zone rétro-littorale sous influence côtière, et des territoires de montagne en déprise démographique où la réalité est tout autre. Les prix à Biarritz n’ont rien à voir avec ceux de Saint-Jean-Pied-de-Port ou des villages de montagne.
Cette diversité nous oblige à différencier nos approches. Nous n’appliquons pas les mêmes mesures partout : les propriétaires de résidences secondaires à Biarritz ne sont pas les mêmes que dans un village de montagne – ni par leur profil, leur relation à la commune ou leur histoire. C’est pourquoi nos réglementations ciblent prioritairement le littoral et le rétro-littoral où la tension est maximale. »

Nombre de locations courte durée en 2023 et évolution entre 2016 et 2023 Source : Agence d’Urbanisme Atlantique & Pyrénées
Qu’est-ce qui a déclenché votre mobilisation ?
« D’une part, nous avons vu exploser les meublés touristiques de 7 000 environ à 16 400 unités entre 2016 et 2020, au moment où Airbnb et les autres plateformes se sont démocratisées.
D’autre part, sur certaines communes littorales et de montagne, plus de 50% du parc immobilier est constitué de résidences secondaires ! Enfin, notre territoire accueille 3 000 nouveaux habitants chaque année – essentiellement attirés par le littoral.
“Dans les permanences des élus, on ne vient plus chercher un emploi, mais un logement.
Face à cette urgence, nous avons dû agir. »
Katia Emerand, directrice générale adjointe Stratégie territoriale
Communauté d’agglomération du Pays Basque
À Biarritz, les prix atteignent ceux de Paris. Cette situation génère une impossibilité d’accession à la propriété pour les locaux, alors que l’ancrage dans la propriété fait partie de notre ADN territorial. Dans les permanences des élus, on ne vient plus chercher un emploi mais un logement. Face à cette urgence, nous avons dû agir. »

Grande plage, Biarritz
Comment avez-vous construit cette politique du logement ?
« Notre action s’est construite progressivement depuis les années 2000. D’abord, nous avons créé un Établissement Public Foncier Local (EPFL) à l’échelle du Pays Basque pour nous doter d’outils d’aménagement public. Avec la loi SRU, nous avons mené une politique volontariste de construction de logements sociaux – assez exemplaire d’ailleurs.
Mais nous nous sommes rendu compte que ce n’était pas suffisant. Les prix continuaient d’augmenter, créant une véritable bulle immobilière. Il fallait agir sur le parc existant. »
« Notre première réglementation a été la mise en place du changement d’usage
avec compensation. »
Katia Emerand, directrice générale adjointe Stratégie territoriale
Communauté d’agglomération du Pays Basque
Quelles mesures phares avez-vous mises en place ?
« En 2019, nous avons d’abord travaillé sur la quantification du phénomène. C’était le brouillard total sur les chiffres d’Airbnb ! Nous avons croisé les données avec nos collègues du tourisme via la taxe de séjour, et notre agence d’urbanisme a collecté des données directement auprès des plateformes. Ce diagnostic nous a permis de construire notre première réglementation : le changement d’usage avec compensation.
Le principe ? Si vous possédez un meublé touristique, vous devez transformer un autre local en logement à l’année.
Les mesures clés, étape par étape2019 : Un premier règlement qui a permis de mieux mesurer le phénomène
2022 : Une limitation stricte
2024 : Une mobilisation de tous les leviers disponibles
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L’attachement à la maison, ADN du Pays Basque
Le saviez-vous ? Au Pays Basque, les habitants étaient traditionnellement appelés par le nom de leur maison (« Etxe »), pas par leur nom de famille. Cette maison donnait son identité à toute la famille et ne pouvait être vendue qu’après deux générations. Un attachement territorial unique qui explique la mobilisation précoce du territoire.
Quel rôle ont joué les mouvements citoyens ?
« Le collectif ‘Herrian Bizi – Se loger au pays’ et l’association ALDA ont été essentiels car cette mobilisation citoyenne a placé la question du logement au centre des débats. Quand les habitants se mobilisent, cela influence tout le territoire : les élus mais aussi l’opinion publique. Sans eux, nous n’aurions probablement pas eu la légitimité politique pour aller aussi loin. »


Comment avez-vous géré les résistances ?
« Les règlements ont été attaqués en justice par la FNAIM, des conciergeries et des particuliers. Pour certains propriétaires locaux qui comptaient sur ces revenus pour leur retraite ou les études de leurs enfants, le sentiment d’injustice était fort. C’est cornélien pour les élus : d’un côté, le besoin de mettre fin à la spéculation, et de l’autre, des propriétaires qui se sentent lésés.
Devant les tribunaux, nous avons réussi à convaincre les juges en instance et en appel. On verra ce que dit le Conseil d’État. C’est une atteinte au droit de propriété, certes, mais justifiée par l’intérêt supérieur de l’accessibilité au logement. »
« L’élu au tourisme et l’élu au logement ont travaillé ensemble sur la construction du règlement. »
Katia Emerand, directrice générale adjointe Stratégie territoriale
à la Communauté d’agglomération Pays Basque
Nous sommes dans le dialogue permanent. Nous avons créé un service spécifique pour l’instruction et le contrôle des dossiers. L’élu au tourisme et l’élu au logement ont travaillé ensemble sur la construction du règlement – c’était essentiel pour l’équilibre. Nous associons les acteurs du parc privé, même s’ils ne sont pas tous convaincus. C’est un travail partenarial de longue haleine, une co-construction qui ne veut pas dire consensus total… »

Quels résultats concrets pouvez-vous présenter ?
« La progression est enrayée et c’est mesurable : nous sommes passés d’un pic de 22 000 meublés touristiques en 2019 à 17 500 aujourd’hui : une baisse de 4 500 unités en valeur absolue. C’est un signal fort !
Nous travaillons également en faveur de la rénovation et de l’adaptation du parc existant. Par des aides à la pierre, mais également en informant et travaillant avec les propriétaires.
Nous avons créée la Maison de l’habitat et de l’énergie. Nos partenaires agissent également comme notre EPFL avec le dispositif ‘viager solidaire’, qui permet à nos anciens de rester dans leur logement, tout en s’inscrivant dans une démarche socialement responsable.
“ »La progression est enrayée et c’est mesurable : nous sommes passés d’un pic de 22 000 meublés touristiques en 2019 à 17 500 aujourd’hui : une baisse de 4 500 unités en valeur absolue.
Katia Emerand, directrice générale adjointe Stratégie territoriale
à la Communauté d’agglomération Pays Basque
Par contre, nous avons du mal à savoir ce que deviennent exactement ces logements sortis d’Airbnb – vendus, transformés en résidence principale ou restant en résidence secondaire ? La suppression de la taxe d’habitation nous prive de données fiscales précieuses. »

Quels sont vos prochains défis ?
« Le grand sujet reste le maintien de la production de logements sociaux dans un contexte économique compliqué. Comment réussir dans la durée à produire du logement accessible ? C’est notre grande inquiétude pour l’avenir.
« Comment réussir dans la durée à produire du logement accessible ?
C’est notre grande inquiétude pour l’avenir.”
Katia Emerand, directrice générale adjointe Stratégie territoriale
à la Communauté d’agglomération Pays Basque
Nous réfléchissons aussi à l’extension du périmètre d’application. Faut-il inclure les zones rurales et de montagne dans le dispositif d’encadrement du changement d’usage ? C’est délicat car certains agriculteurs trouvent un équilibre financier grâce aux gîtes ruraux, qui sont techniquement des meublés touristiques. Il faut adapter nos mesures aux réalités de chaque territoire. »
Comment reproduire l’expérience basque dans votre territoire ?
D’autres territoires sous tension comme les Alpes ou la Côte d’Azur observent depuis le début avec attention les actions du Pays Basque.
Mais, est-ce qu’une telle mobilisation est possible, en dehors de la Bretagne, de la Corse ou du Pays Basque, des territoires avec de fortes identités et attachement ? Selon Katia Emerand, oui, bien sûr. La question n’est plus de savoir s’il faut réguler, mais comment le faire intelligemment, en tenant compte des spécificités locales.
« Cette question est tellement centrale qu’elle devient transpartisane. »
Katia Emerand, directrice générale adjointe Stratégie territoriale
Communauté d’agglomération du Pays Basque
Si l’attachement territorial basque est particulièrement fort, cette politique est de fait reproductible partout : depuis 2020, la jurisprudence européenne donne aux collectivités le pouvoir d’agir pour faire prévaloir l’intérêt supérieur de l’accessibilité au logement.

Les Entretiens d’Inxauseta, un espace annuel de réflexion partagée sur le logement.
La loi Echaniz-Le Meur de 2024 renforce encore ce pouvoir, notamment en :
- permettant aux maires d’instaurer une servitude de résidence principale dans les communes où les résidences secondaires dépassent 20% du parc. Concrètement, cela donne la possibilité à certaines communes de délimiter des secteurs dans lesquels toutes les constructions nouvelles de logements seront à usage exclusif de résidence principale.
- permettant aux communes de réduire la durée de location saisonnière de 120 à 90 jours par an.
- diminuant l’abattement fiscal sur les meublés de tourisme
Les prérequis essentiels selon Katia Emerand pour se lancer :
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Pour aller plus loin : Katia Emerand recommande les Entretiens d’Inxauseta, un espace annuel de réflexion partagée sur le logement, dont le thème en 2025 était consacré aux territoires européens confrontés aux mêmes enjeux de crise du logement abordable.
